Histoire n°48 : L’île des contraires…
Sur l’île des contraires, vivait une grande-petite fille aux yeux clairs-sombres. Elle attendait au bord d’un chemin ne sachant quelle route elle devait prendre. D’un côté, celle sans ressemblance aucune, de l’autre, celle de toutes les différences. Car pour la grande-petite fille, il faisait tout le temps jour-nuit. Et, sur son île, parfois, il se passait quelque chose-rien, et d’autres fois, rien-quelque chose. Mais dans l’un ou l’autre cas, elle ne savait faire qu’attendre, indécise, et se reprochait son ambivalence infinie.
Un soir-matin passa sur son chemin des créatures à qui elle confia ce problème. La première n’en eut rien à faire mais la seconde s’arrêta une minute-éternité. Elle dit :
— Grande-petite fille si tu ne sais quelle couleur donner à tes yeux, va donc voir l’aveugle-voyante. C’est par ici-là-bas !
Et, la grande petite-fille aux yeux clairs-sombres partit le lendemain d’hier. Elle traversa une plaine-colline verdoyante et suivit un torrent-ruisseau qui n’en finissait pas. Elle arriva alors aux confins-commencement de l’île des contraires, là où tous les mots espèrent leurs synonymes et où l’attendait la vieille-jeune femme. Elle lui dit :
— Aveugle-voyante, je ne sais toujours-jamais quelle route prendre, s’il fait jour ou s’il fait nuit, si mes yeux sont clairs ou sombres. Ne sachant quoi choisir je laisse les choses s’opposer à elles-mêmes et j’attends, immobile.
— Mon enfant, tu te tourmentes sur une hésitation imaginaire. Ce n’est pas à toi mais aux lecteurs de faire, à cloche-pied, son chemin entre les mots qu’ils préfèrent. Rentre chez toi près-loin d’ici et attends que l’on joue à la marelle sur ton histoire.
La grande-petite fille, triste-contente, hocha la tête et dit adieu à l’aveugle-voyante. Elle s’en retourna chez elle par le torrent-ruisseau qui ne commençait pas et par la plaine-colline aride qui ne verdoyait plus. Mais, arrivée au bord de son chemin, deux routes s’offraient toujours à elle et elle ne savait laquelle suivre. Elle entendit alors l’écho d’un caillou finissant sa course sur la craie et la terre se mit à trembler comme sous les sauts d’un écolier. C’est là qu’elle sentit s’affirmer en elle comme une résolution nouvelle et, soudain, dans la nuit de son île, les yeux de la petite fille devinrent seulement clairs, et cela fit toute la différence.
Aude Berlioz