11
Jan
2022
29

Histoire n°119 : L’étrange Noël de Mr Zax…

Envoyé sur terre comme tant d’autres avant lui, Zax débarqua de sa lointaine planète, un matin d’hiver. On lui avait confié, de même qu’à ses prédécesseurs, une mission de la plus haute importance : établir un rapport sur les étonnantes coutumes humaines. 

Début décembre, pourtant, rien n’annonçait encore l’invraisemblable folie à laquelle il allait assister bientôt. Les rues étaient calmes, le pavé glacé, les cheminées flambaient à l’intérieur des maisons, formant dans le ciel de longues volutes de fumée. En déambulant ici et là, il devinait les ambiances oranges et chaleureuses au travers des fenêtres, qu’en début de soirée, aucun volet ne venait encore dissimuler au regard. Ce n’est, en effet, que quelques jours plus tard, que les premiers événements inattendus se produisirent. 

Comme une étrange maladie se propageant soudain par contagion à toute la ville, de petits globes de lumière multicolores apparurent un peu partout sur les vitrines et dans les appartements, perchés entre les branches des arbres et suspendus au-dessus des rues. De petits arbres, se reflétant d’un vert sombre dans la nuit, sortirent de terre au même moment, comme par enchantement. Étonnamment pourtant, et c’est cela qui était le plus curieux, personne ne semblait s’en inquiéter outre mesure…

Vers la mi-décembre, un autre changement significatif eu lieu. Malgré le froid grandissant, s’infiltrant au plus profond de l’âme par le moindre petit bout de peau laissé à découvert, les rues, auparavant désertes, devinrent soudain noires de monde. Les humains, portés par une incompréhensible frénésie, se mirent à courir dans un sens et dans un autre, entrant et ressortant des boutiques les bras toujours plus chargés d’énormes sacs de papier. 

Zax fit alors un rapprochement dans son esprit, se souvenant d’un vieux traité sur les habitudes humaines lu au cours de ses études. Les surprenants comportements auxquels il assistait trouvaient sans doute leur point d’origine dans ce que les humains appelaient « la période de Noël ». Il douta pourtant, se rappelant qu’elle était, normalement, synonyme de joie. Or, sur les visages rougis par le gel, lancés dans les rues dans ce qui semblait être une expédition périlleuse, il ne voyait qu’agitation et fatigue… Était-ce ainsi que les hommes exprimaient leur contentement ?

Le calendrier se rapprocha vite de la date fatidique du 24 décembre. Peu avant, Zax assista, médusé, à d’inaccoutumés brassages de population. Dans un ballet qui semblait, de l’extérieur, parfaitement orchestré, il vit les hommes se déplacer en troupeau, comme s’ils répondaient soudain à un appel migratoire émanant du plus profond de leur être. Sur les figures obéissant à cet appel, il devinait comme un air de famille… Zax se souvint qu’il y avait sur Terre une espèce de poisson qui, de la même façon, remonte les cours d’eau pour revenir barboter où elle né. Il consigna alors dans son rapport cette observation qu’il pensa des plus fines. 

Mais, en lui, une décision était prise. Il fallait absolument qu’il parvienne à percer le mystère de ce qu’était Noël pour les hommes, qu’il comprenne enfin la véritable signification de cet enchaînement d’événements plus étranges les uns que les autres. Là devait se trouver le sens profond de son voyage dont, finalement, on ne lui avait pas dit grand chose…

Il sentait, par la manifestation d’une intense intuition, qu’arrivait enfin la finalité de ce mois entier d’organisation. Il devait se tenir prêt. Il choisit donc, comme poste d’observation, une petite rue pavillonnaire de banlieue où, à l’affût, bien caché dans une haie généreuse, il pouvait observer l’intérieur de plusieurs maisons. Son effort fut vite récompensé quand il vit arriver, pas plus tard que le lendemain, une troupe d’humains les mains chargées d’une quantité faramineuse de nourriture. Il y en avait là bien trop pour être mangé en une seule fois !, se dit-il et, instantanément, il identifia, dans cette pratique, les prémisses d’un rituel païen inconnu. Nul besoin d’être un grand anthropologue pour saisir que ces vivres seraient bientôt l’occasion d’une offrande à un dieu quelconque, cruel et assassin…

Mais le plus étonnant n’arriva que le lendemain. Incrédule, au matin, il regarda les humains de plusieurs maisons déplacer des pyramides de paquets rectangulaires de différents formats, emballés dans des papiers de couleurs vives. Ils s’échangèrent alors, tour à tour, les paquets après les avoir disposés en tas cérémonieusement empilés au pied du petit arbre vert sombre, illuminé pour l’occasion. Plus il y avait de paquets, plus les humains semblaient heureux, particulièrement ceux de petites tailles… nota-t-il. 

C’est là que, sans qu’il entende le moindre coup d’envoi, tous se mirent, dans chacune des maisons, à déchirer les paquets les uns après les autres. À dépecer, dans une folie inexplicable, les papiers colorés pour les réduire en de petites boules qu’ils laissaient négligemment retomber sur le sol autour d’eux. Ce qui semblait être une furie collective et barbare dura une bonne heure. Et pendant tout ce temps, Zax demeurait profondément choqué par ce qui se déroulait sous ces yeux. Devait-on voir là le sursaut archaïque d’une espèce chasseresse ? Les réminiscences d’un ancien rite sauvage ? Zax ne s’expliquait pas cet échange de biens ressemblant à s’y méprendre à un système primitif de troc… Mais, surtout, comment expliquer cette haine, ou cette adoration compulsive, qu’avaient les humains pour le papier ?

Zax consigna ses dernières interrogations dans son rapport et, plus effrayé qu’il ne se l’avouait par ces coutumes bestiales, décida de rentrer chez lui plus tôt que prévu… Finalement, aucune mission claire ne lui avait été donnée ! Un peu déçu par son voyage et ces hommes qu’il imaginait plus évolués, il s’envola. Regardant diminuer au loin la planète bleue, il se persuada qu’il avait largement fait sa part et qu’il pouvait laisser au prochain missionnaire le soin de percer le mystère de cette étrange période de Noël…

Aude Berlioz