Histoire n°94 : L’envol
Léna avait un secret. Elle savait voler. La nuit, sans réveiller ses colocataires, elle grimpait au grenier, ouvrait le Velux et montait sur l’arête du toit, ses pieds nus sur les tuiles fraîches, sans peur de tomber. Dans un pyjama une pièce pour ne pas attraper froid, une impulsion suffisait pour que son corps soudain léger comme une plume prenne son envol. Alors, elle décollait avec la grâce d’une danseuse, battait des bras comme un oiseau.
Souvent, ses itinéraires variaient. Elle allait, parfois, simplement se percher sur les maisons voisines et découvrait avec curiosité leurs jardins secrets, toujours cachés derrière de hauts murs. D’autres fois, elle volait jusqu’en ville pour regarder les jeunes gens faire la fête et sortir titubants des bars, sans faire attention à elle. Certaines nuits, elle se posait sur les églises, assistait aux messes de Noël à travers les vitraux ou sur les fenêtres des grands musées pour en admirer les tableaux. Et elle se disait qu’il lui serait facile d’en voler un pour assurer ses vieux jours…
L’été, elle profitait de ses vacances pour s’élancer vers des régions lointaines. Elle partait avec un hamac dans son sac à dos et dormait le jour dans de grands pins que venait secouer le vent. De temps en temps, des oiseaux accompagnaient son vol mais, le plus souvent, il demeurait solitaire. Dans le calme infini des nuits d’encre, Léna planait bien au-dessus des lumières : elle quittait son quotidien de simple piétonne pour un moment de liberté ultime qui ne restait qu’entre elle et la nuit.
Aude Berlioz