Histoire n°88 : Cochon Surprise
Un éclair vert parcourut le restaurant, visible jusque de l’autre côté de la rue. On entendit les cris étouffés de vieilles bourgeoises, on vit des regards stupéfaits se croiser, mais personne ne dit rien devant l’incongruité de la chose : un cochon nain venait d’apparaître, entier et vivant, sur la table d’un client.
L’éclair se dissipa en quelques volutes de fumée et, pendant les instants qui suivirent, le seul bruit perceptible fut un « groin groin » symptomatique. Le cochon s’ébroua et sauta à terre avec l’air épanoui de celui qui se réveille d’un sommeil réparateur. C’est là qu’une voix humaine se fit entendre : « Mais, enfin, rattrapez-le ! » Quelques âmes dévouées (qui ne savaient sans doute pas quoi faire d’autre) tentèrent d’intercepter l’animal juste avant qu’il n’atteigne les cuisines. Le porcelet, contrarié dans ses plans, rebroussa chemin et fila droit vers la sortie.
Le serveur de la terrasse, n’ayant rien vu de la scène, choisit ce moment précis pour ouvrir en grand la porte d’entrée du restaurant. Un fracas de vaisselle sale, le serveur à terre, interdit. Et, par les grandes baies vitrées, on vit le cochon nain sortir fièrement à une allure toute modérée. Il grappilla dans un parterre de fleurs et s’en alla le groin au vent se dégourdir les pattes dans les rues de Paris.
À l’intérieur, on fit comme si rien ne s’était passé, on tenta de manger quelque chose mais peine perdue. On laissa de l’argent à même la table et on fila vite, incrédule, reprendre sa journée en regardant tout de même, ici et là, si un cochon né d’une intervention divine inexplicable, ne trottinait pas gentiment derrière soi.
Aude Berlioz