Histoire n° 38 : Le poisson amblyope
La Savoie abritait un lac presque oublié entre ses monts verdis. Et dans ce lac, vivait un poisson dont les yeux ne lui montraient que la nuit. Tout à fait aveugle, il n’aurait su dire s’il nageait dans l’air ou dans l’eau. Cela, car il ne possédait pas plus d’oreilles pour compenser le sens qui lui manquait.
Autrement, sans doute, l’aurait renseigné l’assourdissant silence aquatique qui l’entourait. Tout comme l’auraient fait, s’il évoluait dans l’air, les cris des quelques vacanciers qui jouissaient, au-dessus de lui, de la si parfaite fraîcheur du lac. Du reste, ses autres sens ne l’aidaient pas plus à résoudre le mystère qui l’habitait.
Comment savoir si le plaisir qu’il ressentait à se blottir dans le sol moelleux venait des algues sableuses ou de la terre mouillée ? Et la roselière qui lui servait d’abri ? Comment dire si la douceur des feuilles de son nid ne provenait pas plutôt des hautes herbes de ces prairies où s’ébattaient, paraît-il, tant d’êtres vivants ? Peut-être que les grands cygnes contre lesquels il se cognait souvent étaient des vaches énormes et paresseuses… Et, où qu’il errait dans son noir univers mouillé, sa soif de savoir ne s’étanchait jamais.
Mais l’histoire raconte qu’un jour, le poisson amblyope, se trompant de verticale, finit sa courbe dans les branches accueillantes d’un arbre, où, manquant d’eau, il mourut content d’avoir eu sa réponse.
Aude Berlioz
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