Histoire n° 51 : Les aiguilles amoureuses
Comme tous les enfants de six ans, Auguste venait juste d’apprendre à lire l’heure. Mais il lui semblait être le seul à connaître le véritable secret des horloges. Pendant ce temps infini où l’implacable défilement des heures demeurait pour lui muet, il avait observé. Il avait observé, et il avait vu. Il avait vu ce que tous les autres avaient oublié.
Il avait vu l’empressement amoureux de la grande aiguille, et l’attente faussement calme de la petite ; leur comédie répétée. Il avait vu ces rendez-vous clandestins et réguliers, toujours donnés en un point différent pour que personne ne remarque rien. Lui n’avait pas cru à ce suis-moi fugitif incessant et à leur semblance de ne pas se connaître.
Et aujourd’hui qu’Auguste avait été initié au monde adulte du temps quantifiable, il s’était fait la promesse de toujours feindre de se plier à la gouvernance de ces quatre chiffres, à cet unisson auquel tous semblaient faire battre leur vie.
Il verrait toujours la preuve d’un désir réciproque dans leur poursuite éternelle. Il entendrait toujours dans leur tic-tac le bruit des pas feutrés qui mènent aux retrouvailles. Et, durant toute sa vie, il eut ce même sourire complice et satisfait à ces heures pourtant ignorées : 13 h 05, 14 h 10, 15 h 16, 16 h 21…
Ces heures où enfin, pour une minute, l’inapaisable course fait place au frôlement passager et délicat des deux aiguilles — aiguilles qui s’aiment, depuis toujours, une fois par heure.
Aude Berlioz
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