20
Jan
2021
14

Histoire n°107 : Les minutes dérobées

Longtemps, elle s’était levée de bonne heure. Quelques minutes seulement avant les autres, cela suffisait. Elle descendait aussi silencieusement que possible les marches grinçantes de la vieille maison où ils venaient passer chaque été. Surtout, ne réveiller personne !

Les pieds nus en pointe sur le carrelage froid se dirigeaient droit vers la porte-fenêtre. On entendait à peine son lent coulissement et les orteils, comme s’ils devaient entrer dans une eau plus froide encore, prenaient d’abord la température de la dalle avant d’oser s’y poser entièrement.
Enfin, ils étaient dehors, et c’était aux yeux de se fermer, à la respiration de se faire profonde pour profiter plus intensément du spectacle qui allait se dérouler dans un instant. Le monde encore engourdi de sommeil allait bientôt se réveiller… Point de fureur encore. Juste un calme parfait. Le silence et, au loin, le piaillement de quelques oiseaux toujours gais.

Personne ne pouvait encore dire ce que la journée et ses possibles réserveraient. Même les journaux, si bavards de mauvaises nouvelles, en cet instant, se taisaient. La nature seule était là, la campagne et le soleil qui se levait, incertain, reflétant des rayons orangées sur les feuilles qui dansaient.

Il suffisait juste de quelques minutes dérobées… Des minutes volées au temps, au bruit et aux autres pour s’imprégner, seule, de l’harmonie que peut avoir le monde quand personne n’est là pour le regarder.

Mais, vite, il était déjà temps de rentrer pour que le premier levé la voit innocemment se servir un café. Comme si de rien était. Et, étonnement, il lui semblait ce matin encore que le liquide noire et brulant coulant dans sa gorge, avait le goût suave du secret.

Aude Berlioz

©Photo by Clément Falize