Histoire n°42 : Le prophète ou la rébellion des choses
Un jour de décembre qui ressemblait aux autres, un dieu quelconque fut envoyé parmi les hommes, déguisé en prophète. Étonnamment, la mission qui le menait sur terre ne concernait pas le genre humain. Une fois n’est pas coutume : ce n’est pas les hommes qu’il venait raisonner, mais les choses.
Les dieux avaient remarqué depuis quelque temps que l’ensemble des objets semblait conspirer contre leurs créateurs et la situation inquiétait vaguement en hauts lieux. C’était comme si tout ce que l’homme produisait avait décidé de se retourner contre lui. Il fallait donc enquêter de toute urgence sur cette soudaine indocilité.
— Il est dans l’essence de l’homme de toujours se développer davantage, de construire, bâtir, créer sur la base de ses nouveaux savoirs. Œuvres humaines, pourquoi prenez-vous soudain des propriétés polluantes, néfastes pour l’homme et son environnement ? » Celui dont l’apparence ne différait pas d’un homme comme les autres dit cela de son ample voix de prophète ne pouvant être entendue que par ceux à qui sa parole était destinée. Il ajouta :
— Il ne peut plus rien faire, manger, acheter sans avoir le sentiment et la culpabilité de faire quelque chose de mal, de détruire la nature et sa santé. À quoi jouez-vous donc ? Pourquoi ne l’accompagnez-vous plus gentiment dans son évolution ?
Cela faisait longtemps qu’un grand silence régnait dans le monde des choses, quand un petit radiateur qui se tenait près du prophète se mit à parler au nom de tous :
— Avant les hommes semblaient nous respecter et nous chérir, nous passions de génération en génération, des artisans nous construisaient à la sueur de leur front pour que nous dépassions au moins le temps d’une vie humaine. Aujourd’hui à la moindre faiblesse nous sommes jetés aux ordures comme de vulgaires épluchures de légumes.
— C’est vrai, acquiesça une commode qui passait par là, ils nous fabriquent à la chaîne dans des usines froides et lointaines sans plus avoir pour nous le moindre égard.
— Mais enfin, dit le prophète, que ferez-vous quand plus personne ne sera là pour vous concevoir et vous utiliser ? Y avez-vous songé, objets ?
— Nous ne voulons pas leur perte, reprit le petit radiateur, seulement revenir à l’ancien temps où ils affichaient encore pour nous de la considération. Quand ils comprendront leurs erreurs, et s’il n’est pas trop tard, nous promettons de cesser notre rébellion !
Le prophète sembla en lui-même peser les arguments de chacun, puis il esquissa un léger haussement d’épaules avant de disparaître aussi miraculeusement qu’il était venu.
Aude Berlioz