Histoire n° 46 : Déchirements
— C’est lui que tu aimes maintenant, n’est-ce pas ? Réponds-moi !
— Non Hippolyte ! Je ne crois pas… Ce n’était qu’une passade, rien de plus. J’en suis sûre !
— Une passade que tu vas voir dès que j’ai le dos tourné. Ne mens pas ! Ou alors… montre-moi. Demande-lui, à lui, si c’est moi que tu aimes encore. C’est facile ! dit le jeune homme en pointant son index dans la direction d’Éléonore.
— Laisse-moi… Ça ne servirait à rien, tu dois me faire confiance. Arrête ça !
Il s’était jeté sur elle et, bien qu’elle usât de toute sa force pour se débattre, il réussit à plonger ses doigts dans sa poitrine, entre ses deux seins. Comme elle ne bougeait plus, il en profita pour lentement ouvrir sa cage thoracique en deux et dévoiler son cœur.
Il avait maintenant changé d’interlocuteur et ne faisait plus attention à elle.
— Quel est ton nom ? Dis-moi, quel est ton nom !
— Lâche-moi, cria Éléonore, tu sais bien qu’il ne peut répondre qu’à moi.
— Demande-lui, alors, je veux savoir !
Elle se dégagea de son étreinte et écarta d’elle-même un peu plus les deux bords de sa poitrine. Elle répéta la question à son cœur qui battait alors plus vite qu’il ne devait. Quand des lettres commencèrent à se dessiner sur la chair rougissante, on entendit une voix sourde et écarlate — comme entrecoupée de hoquets — prononcer un prénom :
— GABRIEL.
— Je le savais ! C’est lui que tu aimes ! Je n’y crois pas… Comment oses-tu encore te tenir face à moi ?
— Je n’étais pas sûre… bredouilla Éléonore, accusant comme elle pouvait le flot de rage triste qui se déversait maintenant sur elle.
Elle prit les lames une à une jusqu’à ce qu’un instinct de défiance, tapi en un lieu insoupçonné de son être, ne se réveille.
— Et toi alors ! Je veux savoir moi aussi, demande-lui !
— Je t’en prie, n’inverse pas la situation ! Tu m’as trompé et c’est moi qui devrait me justifier ?
Elle se jeta sur lui comme il avait pu le faire et reproduisit les mêmes gestes séparateurs.
— Vas-y !
Résigné, capitulant, ne voyant pas ce qu’il avait de plus à perdre, Hippolyte s’adressa lui aussi à son cœur :
— Quel est ton nom ?
— AGATHA, dit l’organe qui n’avait que faire des troubles qu’il pouvait causer par sa réponse.
— …. Alors tu l’aimes encore ? Comment peux-tu me faire la leçon ? Tu ne m’as donc jamais aimée ? demanda Éléonore.
Hippolyte marqua un silence et,en baissant le regard, il avoua :
— Ce sera toujours elle…
Le couple se faisait face, les yeux trempés, tenant toujours entre leurs mains les bords de leurs poitrines entrebâillées mais, à présent, seuls leurs cœurs osaient encore se regarder. Ils baissèrent les bras. Lentement, leurs entrailles se reformèrent. La peau rejoignit la peau et, en quelques secondes, on ne vit plus aucune trace du déchirement qui venait d’avoir lieu.
Aude Berlioz
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