6
Mai
2020
13

Histoire n°96 : La séparation

Quand je suis arrivé, elle était déjà assise en terrasse. Pendant un instant, je l’ai regardée sans qu’elle me remarque. Elle jouait avec la paille de son verre, une grenadine comme toujours, et voilà ce qu’elle a dit :
– Je voulais te voir ici, où on s’est rencontré, dans ce café. Max, ce n’est plus possible, on ne se dispute plus !
– Je sais, j’ai remarqué…
– Ça ne peut plus continuer ainsi.
Il le savait aussi.
– Si on ne fait rien, on s’aimera pour la vie, on aura des enfants, une maison. C’est vraiment ce que tu veux ?
– Non, je t’assure, je ne sais pas comment c’est arrivé…
– Je vais te le dire… On s’est laissé aller, voilà tout. Une relation malheureuse, ça se construit jour après jour. Il faut se créer des moments d’engueulade, chercher l’autre, ne plus l’écouter. Mais je sens bien que tu as lâché l’affaire…
– Tu as raison, je n’y arrive plus…
Elle était arrivée par la rue des Cerises, moi par celle d’Alembert. Le café, comme nos vies désormais, était à la conjonction exacte des deux rues qui s’étiraient en sens inverse.
– Il n’aurait pas fallu grand-chose, tu sais ? Que tu ne ranges plus le lave-vaisselle, que tu laisses quelques affaires traîner… Que tu m’emmènes moins danser, ou que tu arrêtes de me cuisiner des petits plats ! Mais, non, même ça c’est trop demander…
– C’est vrai, mais toi tu aurais pu m’empêcher de sortir de temps en temps, ou, je ne sais pas, te laisser aller… Regarde-toi, tu es de plus en plus belle chaque jour.
– Je sais… excuse-moi. Tu… tu as quelque chose à proposer ?
Il secoua la tête. Elle sembla déçue.
– Alors…
Alors c’était la fin. Elle tourna une dernière fois sa paille dans son verre, elle en but une dernière gorgée. Sur sa bouche que j’avais aimée perlait une goutte couleur grenadine.
– Adieu, dit-elle.
Et, je l’ai vu s’en aller. À mesure qu’elle marchait, comme on se défait d’un manteau qui ne vous va plus — elle reprit sa liberté. Si ce n’était pas de moi qu’elle s’éloignait, j’aurai trouvé ça beau. Mais, dans sa tête, commençaient déjà à se créer d’autres souvenirs, des souvenirs où je n’étais plus.

Aude Berlioz

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